La nuit tombe, avalant peu à peu les couleurs du monde alors que Clara et Thomas approchent de l'entrée de la crypte. L'air est épais, chargé d'une humidité glaciale qui colle à la peau. La forêt alentour s'étire en ombres menaçantes, et chaque bruissement dans les feuilles semble être un murmure ancien. Le portail de pierre qui mène à la crypte est gigantesque, couvert de symboles gravés en relief qui brillent doucement d'un éclat surnaturel.
Clara s'arrête net. Ses yeux s'écarquillent devant les gravures. « Ces symboles… ce sont les mêmes que ceux sur la tombe de ma mère. »
Thomas s'approche, frôle les glyphes du bout des doigts. « Ce sont des marques du Shattered Eye. Ils utilisent ce langage pour canaliser l'énergie… ou enfermer des esprits. Ce lieu n'est pas qu'un tombeau. C'est une prison. »
Le portail s'ouvre lentement dans un grincement sourd, comme si le monument respirait. Une lumière vacillante s'échappe de l'intérieur, déformée par la brume qui s'insinue à travers l'ouverture. Dès qu'ils franchissent le seuil, le monde change. L'obscurité les avale. Les murs suintent une matière noire, organique, et le sol vibre sous leurs pas, résonnant d'une mémoire ancienne.
Des murmures s'élèvent, indistincts mais insistants. Ils ne viennent pas de leurs têtes, mais de partout à la fois : des murs, du sol, de l'air. Les voix gémissent, pleurent, hurlent sans que leurs bouches n'existent vraiment. Une énergie spectrale flotte dans la crypte, ondulant comme une brume consciente. Elle entoure leurs jambes, caresse leur peau, s'insinue dans leurs pensées.
Soudain, un gémissement plus fort déchire le silence. Les murs vibrent. Un cri, étouffé, ancien, animal. Une forme massive surgit de l'ombre. Elle flotte, distordue, composée d'un amalgame de corps et de chaînes, soudés ensemble par la souffrance. C'est un esprit fusionné, résultat de l'accumulation d'âmes condamnées. Des visages hurlants émergent et se dissolvent dans sa masse. Des bras déformés fouettent l'air. Des chaînes tournent autour de son noyau, vrombissant comme des lames.
Une voix multiple, comme venue du fond d'un gouffre, résonne dans toute la crypte : « Vous marchez sur nos tombes… Nos cris vous traverseront. »
L'esprit fonce sur eux, ses chaînes sifflant comme des vipères. Thomas réagit immédiatement, levant la main. Une aura pourpre, sombre et pulsante, jaillit autour de lui. Il pare l'attaque, mais l'impact l'envoie rouler contre un pilier. Clara se retrouve seule face à la créature. Ses yeux brillent d'une peur qu'elle refuse de laisser dominer. Elle lève les bras, cherche à invoquer son énergie. Une lumière blanche surgit de son torse, vacillante, instable, mais puissante. Elle illumine un instant la crypte, révélant des centaines de visages figés dans les murs.
L'esprit recule, perturbé, mais revient plus féroce. Clara crie, tend les bras. Des éclairs d'énergie jaillissent de ses doigts, frappant la créature. Le spectre hurle sans bruit, ses chaînes se contractent autour de lui. Mais son pouvoir dépasse encore la maîtrise de Clara. Elle chancelle, sa lumière tremble. L'entité contre-attaque, propulsant un tentacule de chaînes vers elle.
Thomas surgit, se plaçant devant elle. Son aura se condense en une barrière. Le choc fait exploser les dalles sous leurs pieds. Clara tombe à genoux, les mains brûlées. Thomas halète, les yeux fixés sur l'esprit. « Il est lié à cette crypte… Il est une part d'elle… On ne peut pas le vaincre par la force brute. »
L'esprit, au centre de la pièce, se met à tournoyer. Les chaînes se déploient comme une tempête. Des cris déchirent l'air. Des souvenirs volent autour d'eux — des images, des fragments de vies : ouvriers affamés, enfants enfermés, femmes hurlant dans l'ombre.
Thomas ferme les yeux, tend la main vers Clara. « Connecte-toi à moi. On doit le comprendre… pas le détruire. »
Elle prend sa main. Une explosion d'énergie jaillit. Leurs auras fusionnent. Le blanc instable de Clara épouse le violet profond de Thomas. Ensemble, ils plongent dans l'esprit de la crypte.
Ils voient.
Un passé englouti : une usine souterraine, des hommes et femmes travaillant jusqu'à la mort. Des expériences, des chaînes psychiques, des rituels de liaison d'âmes. L'usine des Échos. Chaque mort, chaque cri, chaque désespoir a nourri l'édifice. Les âmes, sans sépulture, ont fusionné. L'esprit devant eux est leur cri ultime, leur seul espoir d'être vus.
Thomas murmure : « Ils ont été oubliés… réduits à des rouages. Leur seule existence était la douleur. »
Clara, la voix brisée : « Ils veulent juste… être entendus. »
Elle s'avance. Leurs mains toujours jointes. Elle ouvre les bras. Une lumière blanche jaillit de son torse, pure, comme un souffle de paix. « Je vous vois… Je vous entends. »
L'esprit se fige. Les chaînes se détendent. Les visages dans sa masse se redessinent. L'expression de souffrance laisse place à la paix. Lentement, il se désintègre. Un à un, les visages s'effacent. Une brise douce remplace la tempête. Un dernier visage reste, plus net que les autres : Lucien. Il chuchote un mot, à peine audible : « Léora… »
Le calme revient. La crypte devient silencieuse. Clara tombe à genoux, en larmes. Thomas s'agenouille à ses côtés, une main sur son épaule. « C'est fini… pour eux. »
Clara, la voix tremblante : « Mon père… Il connaissait Léora. Peut-être qu'il… qu'il a aidé à créer cet endroit. Peut-être que tout ça… c'est à cause de lui. »
Thomas, grave : « Ce n'est jamais une seule personne. Mais ce qu'on fait maintenant… ça compte. Tu as fait plus que pardonner. Tu les as libérés. »
Dehors, le vent souffle plus fort. Ils quittent la crypte. Clara regarde le ciel, où les nuages s'écartent, dévoilant les étoiles. Elle serre le médaillon de sa mère dans sa paume.
Plus loin, dans un sanctuaire dissimulé dans les montagnes, Léora veille sur Azran. Il est inconscient, plongé dans un sommeil rituel. Des symboles brillent faiblement autour de lui. L'atmosphère est pesante. L'encens noir ondule en volutes épaisses.
Léora murmure : « Clara a vu. Elle a libéré la mémoire de la crypte. Elle va apprendre ce que j'ai fait. Ce que j'ai détruit. »
Une entité gigantesque flotte dans l'ombre, ses yeux brillent d'une lumière spectrale. Sa voix tonne : « Tu t'attendais à quoi ? À l'oubli ? Tu ne peux pas fuir. »
Elle se redresse, les poings serrés. « Je ne fuis pas. J'essaie de réparer. »
Elle s'approche d'Azran, caresse doucement son front. « Tu dors… mais tu entends. Je vais tout leur dire. Même si ça me tue. »
Elle ouvre un ancien parchemin : un fragment du Manuscrit Chrysalide. Le cuir brûle au contact de sa peau. Les glyphes bougent, vivants. Des souvenirs l'envahissent.
Il y a dix-sept ans
Elle est chercheuse. Elle découvre l'Usine des Échos avec Lucien. Ensemble, ils rêvent de purifier la douleur, de comprendre les âmes. Mais le Conseil des Veilleurs veut une arme. Lucien s'y oppose. Léora hésite. Une nuit, une expérience tourne mal. Une brèche. Un esprit ancien est libéré. Lucien est capturé. Son esprit piégé dans le réacteur central.
Léora ne le sauve pas.
Elle fabrique un réceptacle : Azran. Il devait être un bouclier contre l'Écho. Mais elle le façonne à partir des travaux de Lucien. Elle injecte ses découvertes dans son cœur. Puis elle tombe amoureuse.
Aujourd'hui, elle murmure à Azran : « Tu étais une arme, mais je t'ai aimé. Et ça… ça les a tous trahis. »
Azran ouvre lentement les yeux. Il chuchote : « Léora… tu pleures ? »
Elle recule. « Je t'ai menti. Lucien… je l'ai sacrifié. C'était pour toi. Pour nous. »
Retour au camp de Clara et Thomas. Sous les arbres, le feu crépite. Ils mangent en silence. Clara sort le médaillon de son père. L'ouvre. Une photo. Elle, bébé. Lucien la tient. À côté… une silhouette floue. Une femme.
Clara tremble. « C'était elle… Léora. Elle me tenait. »
Thomas, pensif : « Elle est liée à tout. Ce n'est pas qu'une ennemie. C'est un fragment vivant de tout ce qu'on essaie de comprendre. »
Clara murmure : « Alors je dois la retrouver. Pas pour me venger. Pour comprendre. »
Dans le ciel, une étoile tombe. Un présage. L'histoire ne fait que commencer.